Rumeurs & bruits de couloirs

C'est en début d'après-midi, que Jared aura pu être vu en compagnie de la Baronne de Ravenhold, ils ont discuté des attaques du Fléau mort-vivant qui s'intensifient aux Bois de la Pénombre et plus précisément à Sombre-Comté. C'est alors que la Baronne prit la décision d'envoyer son Conseiller ainsi que la jeune Razaan pour aider les locaux et participer à l'effort de guerre dans la région ou se trouve ses vignobles. C'est alors que le Paladin salua sa maîtresse et alla se préparer pour la soirée qui s'annonçait longue et pénible ...

HRP:

La vieille rombière prit place au Donjon en ce jour. Elle reçu beaucoup de visites en bien peu de temps. Cela attestait certainement de son importance et de la crainte qu'elle inspirait. Lorsqu'elle se décida finalement à sortir de ses appartements, les gens frissonnèrent de tout leur long. Elle fit quelques pas dans le Jardin et, avant que ses jupons de foulent la pierre albâtre de son banc favoris, tous avaient déguerpi. Là, avec ses dames de compagnie, elle se gaussait:

«Vous le saviez vous ? Qu'elle était mariée ?  Le divorce n'a officiellement jamais eu lieu.. Quelle témérité d'être lié de la sorte à une pirate.. Et pas n'importe qui, à l'une des plus influentes, des plus perfides. Recherchée par le Roy lui-même...Et son suppléant, à n'en pas douter. C'est d'elle que viendrait toute sa richesse, vous vous rendez-compte.. Et c'était sous notre nez, depuis le début. Satané chat.»

***

Un souvenir fugace la fit grogner dans son sommeil profond. Sa tête tremblait contre le coussin de fortune dont on avait pourvu son brancard la veille. Un souvenir violent et récent, qui ravivait une colère bouillonnante dans le fort intérieur de l’éclaireur.
Celui de ce coup, stoppé net par la poigne froide d’un chevalier de la mort, brisant jusqu’aux os de son avant-bras en une simple pression, comme l’on fait rompre une vulgaire brindille. Une douleur vive qui la saisit même des mains invisibles des ombres qui l’aspiraient, la poussant à renoncer au repli. Ses dents grincèrent et derrière elles, se précipitaient des râles de douleur. Lorsque le non-mort recula de nouveau, poussé en arrière par l’assaut conjoint de Graddak, Elion et leurs paris, ce ne fut que pour mieux dégainer.
Pendant une seconde, le temps s’arrêta, se figeant autour de Lyonne. Les cris devinrent des murmures, le fracas des armes un crissement lointain. Sa tête se mis à pencher d’un côté, puis de l’autre, dodelinant sans qu’elle ne puisse rien y faire. Tout s’estompa jusqu’à ce que sa respiration rauque, rythmée par le tambour de son cœur, ne soit plus que la seule chose audible. Lorsqu’elle baissa son regard hagard, elle comprit. L’acier du chevaucheur de wyrm lui avait tranché le torse, pénétrant ses chairs dans une gerbe de sang. Alors qu’elle tombait de tout son long, projetée contre le tronc déraciné d’un arbre adjacent, elle sentit encore le fantôme de sa lame dévorer ses entrailles et lécher ses côtes. Lorsqu’elle reprit connaissance, elle se saisit de l’une de ses lames, rampant malgré la douleur jusqu’au héraut du fléau, et transperça le revers de son genou d’un coup sournois avant de retomber au sol comme une vieille chose moribonde.

L’image du tabard de Darnat, le visage de Lucile, celui de sa mère. Puis plus rien. Rien de plus qu’un grand vide.

***

La roublarde reste pour l'heure, plongée dans une profonde léthargie depuis son retour, placée dans le dispensaire improvisé du Donjon.

Lodowig se montrait peu depuis le début de l’invasion. On le vit parfois tirer la goule du haut des remparts, en compagnie de ses anciens camarades de l’infanterie légère. Il fit également quelques sorties remarquables, juché sur Norfendre, son étalon noir, dont le puissant galop fendait la foule des morts-vivants.

Mais le reste du temps, Lodowig semblait invisible. Ses appartements étaient déserts, et nul ne savait où le seigneur sans avoirs passait ses nuits. Jour après jour, son visage se creusait, car il dormait peu...

Hasard ou préméditation, cependant, Lodowig se trouvait dans les jardins d’hiver au cours de l’une des trop rares promenades de la Vieille Rombière. Après avoir fait mine d’admirer une espèce de fleur inconnue, qu’on avait plantée là, en provenance directe de Strangleronce, il adressa à l’estimée centenaire un regard pétillant qui voulait dire : je sais. 

La comtesse était enfin revenue de Kul’tiras, elle avait fui ses affaires en cours lorsque la nouvelle lui était parvenue.
Dame Von Einsman avait été blessée !

Ainsi, une fois rentrée au donjon, toutes les trois ou quatre-heures, Héleine Siblias allait frapper à la porte de Lyonne pour vérifier si elle n’avait besoin de rien. Le plus souvent, la dame était assoupie et elle ressortait aussitôt sur la pointe des talons.

Quelquefois, lorsque son soigneur lui faisait signe d’entrer, elle s’asseyait à son chevet pour prendre sa main et la distraire durant quelques minutes par une conversation frivole.
Mais Héleine n’avait jamais été maitresse dans l’art de parler pour ne rien dire, ses phrases tombaient à plat.
Elle se demandait quel sujet abordé lorsque sa demoiselle de compagnie vint l’avertir de l’arrivée de Sire Sumières la réclamait à son laboratoire.

" Dame Von Einsman, on dirait que les affaires reprennent. Elle l’aide à se redresser sur ses oreillers Je reviendrais vous voir au plus vite, chère amie !"

La Comtesse parti donc en direction de son laboratoire, laissant Lyonne se reposer et reprendre des forces.

Les seize coups retentissaient encore, lorsque l'on entendit résonner le service à thé en porcelaine de la Rombière. Sa cour de jeunes filles, finement apprêtées, tendaient l'oreille, un rire prêt à être étouffé à tout instant.

«Ah, ma très chère Claire. Ne rougissez pas devant si peu de frivolités, vous n'avez pas à avoir honte.. Après tout vous n'êtes qu'une simple dame de compagnie, exilée loin de l'héritage par quatre aînés. Si vous ne prenez pas du bon temps maintenant, quand le ferrez vous ? Lorsque vos traits s'affaisseront ? Nan, nan-nan.. Mon enfant, suivez les conseils de certaines de ces dames.. L'on dit de l'une d'entre elles qu'elle aurait été contrainte de fuir Theramore, sous l'impulsion d'un père bien en grade. Le pauvre homme.. Entaché de la sorte par les galipettes acrobatiques de sa diablesse de fille. Dans la paille, dans la boue, sur les tables et les bancs, rien n'y échappa si ce n'est la vertu ! Je sais même de source sure qu'elle emprunta un nom, tant son déshonneur était aussi connu que les reliefs de sa lingerie ! Ah...Claire... Ce n'est pas vous qui la  blâmeriez, n'eeeeeeest-ce pas ? Hm..?? On dirait bien que vous avez trouvé maîtresse en la matière... Ah, sans jeux de mots !»

***

Elle sortait tout juste des jardins, drapée de sa robe aux teintes bordeaux d'une mode passée et d'un châle lui couvrant les bras. L'une de ces tenues qu'on ne lui connaissait que trop bien.
Toujours copieusement escortées par ses demoiselles de compagnie, elle semblait s'adresser à l'une d'elle en particulier qui se contentait d'hocher la tête à chaque déclaration

"Un enfant illégitime, c'est toujours une sacrée histoire ... Mais ! Et écoutez bien, le plus cocasse dans celle-là ... c'est de s'être arrangé pour en faire son héritière à coup d'adoption et tutelle, après l'avoir soit même abandonnée à l'orphelinat. J'adore cette idée qui consiste recueillir le petit chien qu'on a soit même jeté sous la pluie à grand coup de balai, vraiment quelle grande âme."

***

Au petit matin, Grace aura été aperçue sortant d’un fiacre pour se rendre à l’orphelinat, où elle aura été accueillie par la directrice. Après deux bonnes heures à l’intérieure, elle en sera ressortie avec un agréable sourire sur le visage, sourire rendu de plus belle par Mme Rossignol.
Elle aura accordé quelques minutes aux enfants, laissant les curieux admirer sa robe ou sa fourrure sans faire de manières, puis aura rejoint son fiacre. Avant de grimper à bord de celui-ci, elle aura jeté un dernier regard songeur vers l’orphelinat, son sourire remplacé par un froncement de sourcils.

Si on avait toujours l'occasion de croiser un Anastar affairé dans les couloirs du Donjon, toujours en train de naviguer parmi les bureaux des Magistrats, toujours en pleines études, les autres représentants de sa Maison n'étaient plus visibles depuis quelques temps déjà.

Cependant, c'est aujourd'hui, en début de soirée que ces derniers sont apparus à nouveau. Sous les couleurs et la bannière de l'Alliance, le Chevalier O'Shea, accompagné de sa petite troupe constituée de Victoria, Kent, Stitch, Garrett, Shirley et quelques fantassins de Hurlevent ont fait leur retour. Tous l'air éreintés et plus ou moins blessés pour certains, ils ont vite été libérés aux portes du Donjon. Lanford, lui, malgré une fatigue évidente, gardait un sourire indolent, voire insolent en grimpant les marches deux par deux. Une fois le rapport confié aux officiers, il aura filé comme une balle en direction de l'Ogre de Soie.

Une étrange nouvelle tête parcoure les donjons. Enfin, « étrange », c’est relatif, avec le paladin intersidéral qui siège sur le trône et sa femme dégoulinante de vide qui fait des aller-retours, pour ne citer qu’eux.
Cette personne semble être une naine. Une grande naine, plutôt svelte. Ou alors une humaine de petite taille avec des drôles de lubies, vus les tatouages et le tabard des Marteaux-Hardis qui ornent sa personne et sa chevelure hirsute. L’air peu commode, voire farouche, elle se rend toujours au même endroit, un aigle sur l’épaule : un petit bureau dans des couloirs reculés du donjon que certains reconnaîtront comme étant le bureau de Dame Lyonne Von Einsman.

Les plus nocturnes et les plus fins observateurs - ou les plus habiles commères - auront pu surprendre, ce matin à potron-minet, une silhouette vêtue et encapuchonnée de noir, d'assez petite taille, sortir discrètement des appartements du Seigneur de l'Estran avant de s'évanouir d'un pas pressé au détour d'un couloir.

Le climat classique hurleventois s’estompait, au profit d’un frimas passager. La rosée matinale dentelait feuilles et pétales de quelques gelures, les arbres du jardin se dénudaient de leurs dernières feuilles, et, les vitraux de la bibliothèque s’opacifiaient d’une buée permanente. Et bien que le vent qui s’engouffrait dans les alcôves du Donjon restait glacial, il n’était rien en comparaison du ton qui animait les appartements du Lieutenant-Commandant Burnheim.

« Madame, ce que vous dîtes ne fait aucun sens. C’est un outrage, entonnait le lordaeronnais, dont le ton résonnait dans les alcôves du bureau de pierres blanches,

-Rien de ce que je dis ou ne fais ne l’est jamais ; Lieutenant-Commandant. Tout ce que j’énonce s’avère toujours exact. La vieille rombière ne ployait, ce Burnheim fut-il un officier décoré, un héros et vétéran de l'Alliance, le ton maternaliste l'emportait toujours sur le reste.

-Mais enfin, Madame, vous n’y pensez pas. Le SI :7 n’a aucune autorité par ici. Les fonctionnaires des services secrets, hormis Shaw, sont tenus à l’écart de la cour, et ce depuis bien longtemps. Que viendrait faire parmi vous un intrigant de la sorte ? Burnheim finit par lui faire face, sortant de l'assise si confortable de son siège, poings fixés sur ses hanches.

-Mais enfin, monsieur. C’est à la noblesse que revient le privilège de faire valoir ces candidats. Comment pensez-vous que le Grand Exarque ait pu se frayer un chemin aussi simplement au trône ? Simplement par son droit de naissance ? Si c’est là ce que vous pensez, Burnheim, c’est que vous êtes crédule aux troisièmes degrés, veillez à votre progéniture, que ce ne soit pas congénital voire héréditaire. Si nous n’avions pas été là, vous seriez dirigé présentement par un homme-loup, un gilnéen sur notre trône ! Oh ! Par la très Sainte, quel beau théâtre cela aurait été. La rombière tenait sa canne d'une main, s'éventant de l'autre comme si ses derniers propos lui avait couté. Elle dodelinait sans cesse, et, avant qu'elle n'eut ouvert la bouche, le Lieutenant-Commandant réenchérit.

-Vous voulez dire, le genre de théâtre qui n’a rien à voir avec une femme du vide tentaculaire et un paladin de l’espace ? Dit-il, avant que son regard ne croise celui de la rombière. Elle était furieuse. Fidèle à elle même, elle se leva et pris une seconde pour toiser son ancien ami. Et d'un ton, presque menaçant, elle rouspéta.

-Ne me coupez pas dans mes élans théâtraux, jeune homme ! C’est à la noblesse que l’on rend des comptes en termes de culture, de formes et de règles. Et si d’aventure ce visage placide qui s’évertue à toiser le monde venait à faner, pour laisser la place à une autre bête, à une autre Prestor. Avez-vous pensé aux répercussions ? Nous aurions bien plus à craindre de ces griffes là que de celles d’un worgen, pour sûr. Alors oui, de fait, il apparaît bien évident que le Haut-Roi pense nécessaire, louable ou quoi que ce soit d’autre de faire comme son père, et de faire veiller au grain, les infiltrés du troupeau. »

Qui du Donjon n'aurait eu vent de cette discussion, gardée au secret d'une dizaine de valets et serviteurs.

Alors que les notes de l'orchestre n'étaient tues que depuis quelques minutes seulement, dans la nuit du douzième au treizième jour de ce mois, les rumeurs reprirent le pas ; les murmures les remplacèrent. Bien sûr, il y avait, comme toujours, les propos de la Vieille Rombière qui affolaient les uns et les autres, sur toutes les lèvres - toute la cour était toujours pendue à ses mots. Mais derrière les éventuels espions, enfants illégitimes ou époux perdus, il y avait d'autres paroles qui se répandaient : l'héritière de la baronnie de Longsilence, l'actuelle ambassadrice de la Chambre des nobles, était désormais fiancée au baron Elion Di Attia.

Une demande qui eut lieu publiquement, devant les danseurs et les gourmands des festivités organisées pour célébrer la survie de l'humanité face à l'adversité du Fléau. Si ce n'était là rien d'aussi croustillant que les potins de la Rombière, un mariage déliait souvent les langues pour laisser les courtisans médire ou bénir les protagonistes ; l'union de deux maisons n'était finalement pas mince affaire. Mais la rumeur n'allait sans doute pas durer : après tout, il n'était question que de deux barons, dont l'une qui ne bénéficiait même pas encore de son titre.

La rumeur court que le Duc de Monsor aurait été vu prendre le portail menant à Oribos, la nouvelle cité dont tout le monde commencerait à parler.

Le regard noir parcourait le parchemin avec une attention toute particulière, prenant le temps d'analyser chaque mot couché sur le velin, chaque tournure de phrase.
Le seau des autorités compétentes était enfin apposé sur cette demande que la Duchesse n'aurait jamais pensé formuler un jour.
Mais, pour une fois, Ashley Magaret de Edenblow ne passerait pas du statue d'épouse à celui de veuve mais bien à celui de fraichement divorcée.
A chaque époque, ses mœurs, nous étions en l'an 40 après tout.

Il aura bien fallu trois quart d'heure à Salem d'Iregrise pour céder face à l'artiste de rue chantant devant l'entrée de sa propriété. Les badauds, amusés de ses rimes déséquilibrés, de ses fausses notes et de son chant peu harmonieux, auront été surpris que la comtesse d'Iregrise invite le barde de Brumelac au sein de sa demeure plutôt que ne demande à ses gardes de lui jeter les épluchures du souper au visage.

L'artiste aura été raccompagné à la sortie de la propriété par des gardes exaspérés après une bonne demi-heure, tenant entre ses mains un papier signé de la main de la comtesse.

La Vieille Rombière n'est pas la seule personnalité âgée qu'on peut trouver au donjon, loin d'en être la doyenne, il lui arrive de fréquenter les autres Dames de sa tranche d’âge, se retrouvant à médire en leur compagnie, tel des vautours guettant le moindre faux pas des jeunes nobliaux un peu trop ambitieux pour faire de leurs fautes ; sensations et ragots.

C'est en compagnie de l'une de ses Dames qu'on avait pu l'entendre, lors d'une réunion mondaine, animant une des nombreuses salles du donjon par ses soirées d'hiver.

"Tenez, l'autre soir, j'ai pu profiter de la délicieuse compagnie du Maréchal, qui, lors de ses passages à la capitale se fait toujours un devoir de venir me saluer et prendre une tasse thé." - On pouvait toujours compter sur la Vieille Rombière pour avoir la dernière anecdote croustillante, elle n'y manquait pas une fois de plus, commençant son récit.

"Plus qu'un thé, s’il s'agit bien du Maréchal auquel je pense ..." - Sa compère lui jetait un regard plein de sous-entendu.

"Qu'allez-vous imaginer ! Nous discutons banalité, voilà tout." - Si ça mine était sévère, elle ne pouvait cacher entièrement un petit sourire qui en disait long ou pas assez.
Elle reprit rapidement "Alors que je lui évoquais la nouvelle maison des Nobles et certain de ses membres, il s'est esclaffé à la mention d'un des noms, dont il a eu vent pour un acte de lâcheté ignoble : sa fuite devant les Orcs lors des premières invasions en Elwynn, abandonnant derrière lui une pauvre femme qui avait fait une chute ... "

Son auditrice s'exclaffa, "Ah ! Les vertus se perdent, je vous le dis ..."

Deux servants, afférés à la manucure de sa Grandeur, encerclaient un majestueux trône de bois flotté sertit de pierres. Siégeant, impérieuse et silencieuse, la vieille rombière passait un peu de bon temps en compagnie musicale, les yeux ombragés par deux grandes tranches de concombre fraichement coupées. Soudainement l’un des deux valets éternua. La harpiste qui entonnait une petite mélodie cessa immédiatement toute activité, rythmant le silence d’une dernière note fausse. Tous, cessèrent de respirer, hélas pour eux, tout espoir était vain. Avant d’oser lever le menton, la jeune femme qui tenait encore la main veineuse et tachetée de la comtesse, bégaya quelques paroles. Un frisson la parcourra, lorsque les lèvres de l’ancêtres se serrèrent l’une contre l’autre dans l’expression d’un courroux imminent.

« Je vous demande pardon Ma Dame... C’est juste que…Je…Je suis allergique, vous savez avec ce… Souffla la pauvre enfant, tétanisée.
-Je ne vous en veux pas Mélodie, mais apportez-moi un mouchoir, si d’aventures vous ne voulez pas que ce soit avec vos habits que j’essuie votre morve, puis avec ceux de vos enfants que je n’essuie votre sang, lança la rombière, pendant que la harpiste tentait de s’enfuir à pas de loup, détaillant la servante d’un air désolé. Pour son plus grand malheur, dans sa course ralentie, la musicienne fit crisser une latte de parquet.
-Hermione, ma chère, jouez plutôt. N’oubliez pas que mes violonistes raffolent de la façon dont je produits leurs archers. Votre crinière blonde manquerait pour sûr à la cour. Enfin… Tout cela n’est pas vraiment votre faute, Mélodie. Depuis que cette vermine a emménagé dans ce palais, c’est la débandade. Mais du familier allergène, aux mariages tumultueux en passant par l’extorsion, je pensais avoir fait le tour de toutes ses exactions. Il n’en était rien. Figurez-vous qu’hier, un contingent est venu apporter des documents archivistiques, certainement en gage de bonne volonté, avec ces nouvelles alliances, c’est tout naturel. Eh bien, en y passant du temps, je me suis bel et bien rendue compte d’une chose, certaines Maisons n’auraient pas dû hériter, et d’autre si. La raison de tout cela ? Le parricide, bien sûr. J’ai eu beau prévenir le Maréchal, le Chambellan du Roi et même un conseiller de l’Amiral que certains faquins rodaient entre nos murs, personne n’a cru bon de me croire. Hin. Et dire que je leurs avait dit, dans le temps, que cette Prestor avait trop de bagou pour n’être qu’une nordienne. Vous savez, si les dirigeants de ce pays avaient à cœur de tendre l’oreille aux personnes expérimentées, nous n’aurions pas à pleurer la disparition de deux Rois. Hm-hm. »

Elle venait de jeter la lettre dans la cheminée, sous le regard inquiet d'une dizaine de courtisans silencieux. Le feu y léchait les bûches qui s'effondraient, seules gardiennes de la température de la pièce. Dans le brasier, les restes de la correspondance gisaient, noircie par les flammes.
La Vieille Rombière, qui s'éloignait à grand pas de l'âtre pour regagner son fauteuil fétiche, passait en revue sa cour, dont les regards étaient tous dirigés vers le sol.

"Cela tient davantage du sordide, que de la rumeur. Et il reste blessant de savoir que mes alliés n'arrivent pas à faire la distinction entre ces deux choses-là. Les petites manigances, les vilains secrets, c'est presque mon pain quotidien, voyez-vous ? Mais ça ..." - La vieille mégère étira une expression de dégoût, similaire à celle qu’elle affichait quand on lui servait un thé froid ou lorsqu'elle découvrait les dernières robes frivoles des plus jeunes courtisanes du donjon.
"Un enfant mort-né, remplacé par un nourrisson roturier, volé, pour devenir l'héritier d'une dynastie ? Tout cela fait dans le dos du patriarche. Aaaah, ce pauvre médecin de famille qui a dû porter le secret de longues années, avant de trouver une oreille pour soulager sa conscience, sans jamais douter de la loyauté de son libérateur..."

La comtesse passant dans le coin aura d'une oreille distraite écouter la vieille mégère avant de rouler des yeux tout en ricanant. Tournant les talons un brin amusé par cette rumeur.
Les quelques domestiques et garde pourront voir Héleine faire de nombreux aller-retour entre le petit laboratoire soigneusement emménager pour elle et son laboratoire dans le quartier des mages, son petit apprenti la suivant comme un petit toutou des plus fidèles, baissant certainement les yeux devant les seigneurs et reluquant malgré lui les belles ladies.

L'hiver était tombé sur Hurlevent comme une chappe de plomb, l'enfermant dans un étau frais, parfois enneigé, et dans une torpeur intemporelle, aussi sûrement que quand le Fléau avait frappé ses murs, ses remparts, ses rues.

La tête blonde de l'ambassadrice, en tout cas, avait été bien moins visible, occupée par les affaires familiales et les problèmes internes comme tant de ses pairs. Lorsqu'on la voyait, en tout cas, c'était chaudement vêtue dans les jardins du Donjon ou ses couloirs - rarement ailleurs ; et le plus souvent pressée par la nécessité d'aller quelque part, et de régler des soucis qui ne cessaient jamais. Les portes de l'hôtel particulier des Longsilence, elles, étaient resté fermées à la plupart des visiteurs, contrairement à l'habitude qui avait été dictée par l'héritière quelques mois avant.

Les rumeurs voulaient que la famille ne se portât pas aussi bien financièrement qu'elle l'aurait voulue, touchée durement par la déferlante de non-morts qui avait mis à mal ses ateliers et son commerce. D'autres murmurent sur l'état de santé, toujours déclinant, du Baron de Longsilence, qui pourtant ne semblait pas vouloir encore rendre l'âme. Un détail qui, finalement, importait peu, tant Auréa s'était emparé pleinement des rênes de sa maison. Ou, peut-être à cause de ça, justement, était-ce un détail inquiétant.

D'autres la prétendaient effondrée de chagrin face à l'absence de son fiancé, qui n'était pas réapparu à Hurlevent depuis plusieurs semaines désormais. Pourtant, à son annulaire, la bague demeurait et, lorsqu'elle était vue en public, rien ne laissait penser à quoique ce soit.

* * *

Mais, pour les plus curieux, un fait détonne avec cette étrange passivité installée durant ces mois hivernaux : elle aura été vue deviser avec le Général Sombrecœur au sein du donjon. Un tableau intéressant que ces deux-là devaient peindre : la jeune noble énergique, vêtue d'or et de couleurs, frêle mais fière, face au seigneur éprouvé par l'âge, gris et noir, tout en sagesse prudente là où elle était ambition. Un curieux duo, dont la discussion sera suivie quelques heures plus tard par plusieurs estafettes, emmenant chacune des lettres frappées sur sceau de la Chambre des nobles.

Les guerres successives et l'importance prêtée aux ressources de première nécessité - ravitaillement, équipement des lignes de front ou envoi de fournitures aux instances du Royaume en ayant le plus besoin - n'ont pas laissé la part belle aux appartements nobiliaires ; et le Donjon lui-même, après tout, n'est pas non plus de première fraîcheur. Et pourtant. Ca et là, d'étonnants détails peuvent être relevés par les serviteurs les plus vigilants et les petites mains les plus zélées. Une fêlure dans la maçonnerie qui n'existait pas auparavant - ou, en tout cas, qui n'était pas *si* marquée et *si* profonde. Quelques lambris bien trop décatis : fait de l'hiver, de l'humidité, d'une infiltration sournoise ? Quelques pans de bois partent en lambeaux sous la pourriture, s'effritant littéralement sous les doigts. Ou encore cette tapisserie aux couleurs passées, que l'on découvre, en l'observant de près, mangée de trous de vers.

A croire que l'entretien de cette aile du Donjon manque de moyens, ou que cette décrépitude discrète et rampante, encouragée certainement par le froid, nécessite l'embauche d'un personnel un peu plus... apte à la tâche, ce que ne manquera pas de persifler la Rombière. Après tout, une simplette sera même venue la trouver, en pleine nuit et la voix toute effarée, pour lui jurer sur la Lumière qu'elle aurait vu une torche se mettre à brûler à l'envers.

Phénomène dont nul autre qu'elle n'aura pourtant été témoin. La nuit, le froid et l'effroi jouent bien des tours aux esprits impressionnables...

La rumeur n’avait pas tardé à se répandre. Du pain béni pour les courtisans. Une nouvelle délicieusement croustillante pour la cour et ses langues de vipères. L’Estran, qui venait de reparaître, avait été vu en compagnie du co-secrétaire de la Chambre, lequel avait essayé de l’embrasser au beau milieu des jardins royaux. L’Estran avait protesté, Linessa avait répondu que ce qu’il voulait, il le prenait, et le seigneur sans terres de conclure :

— Mettez ça dans votre pipe et fumez-la !!

... La porte des appartements de Lodowig, en claquant derrière lui, mit un point final à cette querelle, dont jase désormais toute la bigoterie hurleventoise.

La comtesse renverse une de ses fioles sur son établi au bruit de claquement de porte et souffle du nez. Laissant son barda, elle se mit à l'idée d'espionner les jardins par la fenêtre. Rien, il n'y avait plus rien. Quelle déception !

C'est dans un long soupir qu'elle finit par nettoyer le liquide verdâtre gluant qui s'acharnait à rester collé sur son bureau de fortune. Après tout, l’ennui n’atteint sa densité que lorsqu’on ne peut le quitter, lorsque le désœuvrement devient un état général, au-delà de toute action, de tout projet. Pourtant, une fois son établi rangé et le calme du donjon revenu, une petite lettre glissée sous la porte fit sourire la dame. Enfin, quelque chose d'intéressant allait se passer.

Une réunion tardive, sous l'oeil de la lune, au milieu des jardins et des oiseaux trop curieux pour rejoindre leurs repaires malgré la fraîcheur de la nuit ; il paraît que c'est le meilleur moment, pour les affamés de potins et de scandales. Les comportements se relâchent, les langues se délient. Ce petit incident n'aura fait que confirmer l'axiome.

Tout avait pourtant commencé de la manière la plus classique et barbante qui soit : une entrevue, des présentations. Les deux tout nouveaux secrétaires, face au Seigneur de l'Estran, honorant comme rarement le Donjon de sa présence. Une introduction, quelques joutes, un peu de compliments, peu de venin.

Et ce baiser, soudain, avorté dans l'esclandre par un Estran furieux - et désireux de bien faire entendre à quel point il désapprouve. Un silence stupéfait s'était fait quelques instants ; certains éventails avaient cessé de battre, des sourcils s'étaient haussés. Celles et ceux, plus habitués aux frasques du Sire Linessa, se contenteront sans doute de renifler avec mépris. Que ne ferait-il pas, celui-là, pour se faire remarquer ?

Il n'aura manifesté aucune honte, en tout cas, et sera resté planté au milieu des regards et des silences, habillant son expression d'une morgue amusée et de la fumée colorée qu'il ne cesse de puiser à son étrange calumet, ces temps-ci. Juste un tour sur lui-même, le temps de passer en revue les éventuels spectateurs - de noter la provenance de rires camouflés, ou ces visages qui se détournent. Un haussement d'épaules, une forme de Hé bien, quoi ? aura suivi, avant qu'il ne vide à son tour les lieux, direction ses propres appartements.

Malgré son dédain marqué pour le qu'en dira-t-on, ses talons claquèrent sur le dallage, avec - on aurait pu le jurer - plus d'agacement et de frustration que nécessaire. Et après avoir fermé le battant de son propre seuil, on ne le verra pas ressortir le jour suivant. Ni même celui d'après.