De Salem d'Iregrise à Thilius Linessa.

Madame Salem d’Iregrise,
Comté d’Iregrise,
Bois de la Pénombre,
Royaume de Hurlevent.

Monsieur Thilius Linessa,
Comté de Valfeux ou peu importe où il se trouve.

J’aurais souhaité pouvoir pénétrer dans l’esprit de mon messager lorsqu’il vous portera cette missive, ne serait-ce que pour savoir si vous vous décomposez à la vue de mon cachet de cire ou, si au contraire, un délicat sourire illumine votre regard encore si juvénile. Vous conviendrez qu’il est rare que je me prête au jeu de l’écriture épistolaire avec votre personne, il est d’autant plus rare que je vous contacte pour des raisons impérieuses – puisque je ne l’ai pour ainsi dire jamais fait jusqu’à aujourd’hui.

La situation est grave, Monsieur Linessa, et vous sachant homme de savoir, je gage que vous vous en doutez. Je vous invite, donc, à ce que nous nous rencontrions dans les plus brefs délais afin de vous exposer une potentielle solution à la crise. Baste la politique, baste Hurlevent : nous parlons à de plus grandes échelles.
Ni vous, ni moi, ne serons assez puissants pour endiguer ce qui arrive et nous aurons, si vous acceptez de me rejoindre, besoin de soutiens et de moyens. Mes pensées vont, pour le moment, vers Monsieur Talvish que j’eus la chance de rencontrer par le passé lorsque Monsieur Kelbourg fut encore dans mes contacts. J’ose espérer que vous n’avez aucun griefs envers lui ou lui envers vous, auquel cas il me faudra réfléchir, à nouveau, à d’autres noms.

J’attendrai votre réponse avec la patience des sages,

Veuillez, dans cette attente, agréer mes salutations les plus distinguées,


P.S. : Non, il ne s’agit pas d’un piège pour vous enlever et vous mettre en geôle. Et n’ayez pas l’air si déçu.
P.S. 2 : Non, il n’est pas nécessaire que vous veniez avec vos propres fers et bâillons à notre entretien.

Du sémillant Comte Linessa,
Depuis Valfeux le bien-nommé,
En Alterac,

A sa lointaine semblable, qu'elle se l'avoue ou non,
Sa Grandeur la Comtesse d'Iregrise,
En Hurlevent.

Ma très chère,

Comme, sous vos airs de ne pas y toucher, vous aimez me montrer de quoi je suis fait ! Votre lettre, en me parvenant, a fait chanter deux cordes : le goût de la surprise, et le goût du mystère. De la surprise puisque, comme vous l'avez souligné, je ne me serais jamais attendu à reconnaître votre cachet au milieu de mes missives ; mais je suppose que l'époque est aux accords impossibles et aux amitiés improbables. J'ose espérer qu'il ne s'agisse pas de désespoir pour autant, ce qui signifierait que vous ne pensez à moi qu'en dernier recours, et cette idée me rend fort chagrin ! Quant au mystère, il est assez épais pour que vous n'usiez que de notions vagues : "de plus grandes échelles", "crise", et autres "raisons impérieuses" ; pour un peu, je croirais lire la prose de Madame Siblias, dont les façons peu subtiles d'appeler à l'aide n'ont semblé éveiller chez vous que du dédain.

Mais trêve de taquineries ! J'entends votre appel, et je décide d'être séduit par le lyrisme dont vous l'enrobez. J'ai hâte de vous entendre expliciter les menaces que vous souhaitez contrer, les moyens que vous y mettrez, et de quelle manière mon savoir, dont vous faites l'éloge, pourra vous être utile. Hâte également de faire la connaissance de ce fameux Monsieur Talvish, auprès de qui je ne crois pas avoir été présenté. Hâte, enfin, de me laisser convaincre par tout ce que, j'en suis certain, vous aurez à offrir contre mon déplacement et ma potentielle implication.

Je suis en Hurlevent pour les prochains jours, ayant obtenu auprès de la Garde l'autorisation de refaire mienne mon ancienne demeure. Je gage que vous saurez me trouver. Soyez persuasive ! Mais prenez garde : il faudra davantage que quelques chaînes et quelques promesses épicées pour me faire chavirer.

Très curieusement vôtre,

T.A.L.

Madame Salem d’Iregrise,
Comté d’Iregrise,
Bois de la Pénombre,
Royaume de Hurlevent.

A l’infernal et cynique Comte Linessa,
Comté de Valfeux,
Royaume d’Alterac.

Me croiriez-vous si je vous admettais que recevoir une réponse de votre part m’a réchauffé le cœur ? Vous sachant insolent et fier comme un paon, je gage que vous n’iriez aucunement à contre-courant et que vous affirmeriez qu’il s’agit de la bien naturelle des choses. Et c’est pourtant la vérité.  Le temps, comme vous l’avez si bien écrit, est aux accords impossibles et aux amitiés improbables.

Je tiens tout d’abord à m’excuser d’une autre missive tardive, il ne s’agit pas là d’une erreur de mon messager mais bel et bien de ma part ayant été rudement occupée à planifier quelques obligations sur mon domicile Hurleventois, chose que vous comprendrez certainement à la vue des travaux que vous tenez vous-même sur votre récente acquisition. Il y a aussi d’autres projets qui méritent mon attention et sur lesquels je maintiens le secret pour le moment tant ils vous paraîtront insignifiants et affreusement politiciens.
S’il m’a fallu emprunter la prose de Dame Siblias, ce n’est nullement pour créer une menace qui n’est pas encore présente : nous patientons péniblement qu’elle s’agite. Ne m’en veuillez pas de ne pas l’écrire à l’encre sur ce papier mais je préfère couvrir d’éventuelles traces de mes actions à venir. Vous êtes toutefois aussi brillant qu’imbuvable aux yeux de beaucoup et je gage que vous avez quelques idées de ce qui peut être une menace aujourd’hui.

Je vous propose de nous rencontrer, en compagnie de Monsieur Talvish, le septième jour de cette semaine à la vingtième heure. Si par malheur cet entretien vous est impossible alors je vous propose le sixième jour de la prochaine semaine à la vingtième heure.

Dans l’attente de votre réponse, veuillez, Monsieur Linessa, recevoir mes pensées les plus amicales.